Association c.r.c. / Cie Yvann Alexandre
    Théâtre Francine Vasse
    18 rue Colbert 44000 Nantes
    0033 (0)9 81 94 77 43

    Notes d’intention « Infinité »

    Infinité est une œuvre de mondes

    C’est beau et rare les 30 ans d’une compagnie. Tout en s’inscrivant dans la saison des 30 ANS DE DANSE de la compagnie yvann alexandre, Infinité se joue du temps, et offre un espace de liberté, d’affranchissement et d’humanité.

    Infinité naît du temps présent, de l’humeur du monde et de l’énergie de la ressource. Comment le geste et le corps sont-ils porteurs de tous nos êtres ? Vaste champ des possibles, Infinité est une œuvre-ressources qui dialogue avec des années de création et les confronte de manière infinie à l’instant T.

    Prenons une table, là où j’aime à travailler mes créations avant d’entrer en studio de répétitions. Infinité se visualise comme une matière qui se déploie sur l’ensemble de la surface, envahit, glisse à l’horizontal, et déborde du cadre. Une sensation de plein contrecarrée par ce qui surgit à l’instant, effilant l’espace et le temps, telles Les Tsingy, C’est ce dialogue entre le fil d’un voyage et ses fulgurances, qui dessine le duo Infinité.

    Comme on lève l’ancre, comme on quitte le port pour voguer vers des terres lointaines, l’équipe de création a activé ce voyage en immersion dans le temps et le répertoire vidéo pour marquer un point de départ au processus de création. Et pour mieux s’en affranchir ensuite. De façon à enlever tout malentendu, Infinité n’est pas un florilège, et encore moins une célébration de 30 ANS DE DANSE, et c’est pourquoi le spectateur n’est pas invité à faire répertoire. Infinité est une nouvelle rencontre.

    La composition chorégraphique invite deux interprètes loins de leurs habitudes chorégraphiques, à s’emparer du geste artistique, à traverser et vivre autrement ce répertoire conséquent. C’est un voyage en abstraction, qui caresse de manière intemporelle les espaces et les temps, dans un acte artistique sensible qui s’attache aux mondes intérieurs et extérieurs.

    Chaque geste est pour moi celui d’un monde, voire même de plusieurs mondes. Des mondes différents, tour à tour glissants, solitaires, amoureux, en élan ou en tension. Des mondes poétiques qui s’ouvrent à chaque pas, et qui dessinent des lignes et des paysages nouveaux. Infinité est une œuvre de mondes.

    Ce duo a la force de l’alliance du temps présent et d’un processus qui efface le passé. Que se passe-t-il et qui sommes-nous réunis, quand la mémoire vivante disparait ? Tous ces gestes partis, ces répertoires endormis, tous ces corps d’hier qui ne rencontrent pas ceux d’aujourd’hui et de demain, toutes ces créations vivantes et éphémères, sans traces souvent, font partie de mondes invisibles.

    Les interprètes sont « Porteurs de tous nos êtres », au sens des nombreuses distributions qui ont porté les créations, des gestes et des pas qui ont écrit cette calligraphie de l’intime durant trente ans, des histoires d’humains, de lieux et de territoires, et de toutes ces peaux et de ces sensibilités. Du temps immersif en vidéo, les interprètes vont laisser des fulgurances, des réminiscences remontées, et s’insérer dans les partitions et les espaces blancs d’Infinité. Et ce sans chronologie, en convoquant seulement le sens du mouvement puisé dans plus de 40 créations. Les interprètes sont également « Porteurs de tous nos êtres » au sens de corps présents, d’artistes d’aujourd’hui.

    Autant de mondes en mouvement qui composent une histoire, et dont l’amnésie volontaire permet une réécriture au temps présent, au profit d’un partage des imaginaires et des souffles. Infinité est un acte d’allers-retours au sens de chemin, et d’être. Qu’est-ce qui instinctivement va convoquer la perspective, la complicité ou la mise en distance ? Ce sont souvent nos pudeurs à dépasser des marqueurs, à respecter ce qui nous définit, à protéger l’existant pour mieux s’y appuyer. La pudeur de l’écho nous invite à créer des frontières et des réserves, là où le geste et danser nous propulsent vers la liberté.

    L’invisibilité des artistes au début de la pandémie, s’est confrontée aux répertoires invisibles. Dans des dialogues déséquilibrés, le corps empêché, immobile, intactile, s’est retrouvé à être spectateur des corps projetés sur écrans, au passé reconvoqué, et à l’injonction continue de (re)découvrir et de (re)voir. Infinité a commencé à s’écrire à cet instant.

    En choisissant de convoquer des répertoires invisibles, en faisant abstraction de la mémoire, c’est offrir une liberté infinie de jouer avec le temps, de confondre hier et aujourd’hui, et d’incarner tous nos êtres, même ceux oubliés.

    Ay. octobre 2021

    Une Infinité de visages

    L’œuvre d’Yvann Alexandre n’a eu de cesse de s’écrire tant pour la scène que pour les espaces non-dédiés. Le chorégraphe parle à chaque fois « d’épouser le lieu », son humeur, ses lumières et ses sons, et de le ressentir pour mieux le révéler. C’est ainsi depuis 30 années de création, et au-delà des scènes en national ou à l’international, les œuvres créées in situ par Yvann Alexandre sont multiples, et rappellent que le chorégraphe démarre ses créations par l’espace.

    Ainsi, le château d’Azay le Rideau, La Conciergerie de Paris, la Chapelle Expiatoire et le château d’Angers, pour les monuments nationaux, mais aussi les places des Arts à Montréal ou de la Comédie à Montpellier, les abbayes de Maillezais ou de l’Epau, les bords de Loire, les sites archéologiques de Jublains ou d’Olbia, le centre-ville de Windhoek en Namibie ou le quartier de la Boyacá à Panama, ou encore le Palais des Papes en Avignon, sont à chaque fois des lieux de création pour des voyages artistiques et humains.

    Dès le départ, Infinité s’est inscrit volontairement à la croisée de la scène et du in situ. Dans sa conception, le duo joue des espaces intérieurs sur la scène et extérieurs, au cœur d’un paysage. Faire île, faire le tour de l’île, en usant des circulations et des perspectives, révèlent les liens intimes entre les interprètes et leur environnement.

    La pièce épouse les lieux de son passage et incarne une œuvre caméléon aux multiples visages. Infinité rencontre le public dans un format à chaque fois renouvelé et adapté à l’aire de jeux, et compose dans le quatuor d’interprètes le duo de l’instant. Infinité s’approprie le lieu que ce soit au cœur d’une chapelle, sur un vaste gazon verdoyant, à l’abri d’une boîte noire ou dans une cour d’école. La pièce offre également une assise pour faire vivre autrement le rapport frontal, le public se retrouve installé dans un U amoureux.

    Révéler le lieu exige artistiquement une diffusion sur site en extérieur qui ne prévoit pas l’installation d’une scène, de gradins ou de lumières. Un système son en multi- diffusion de grande qualité est quant à lui essentiel. Tel un cycle naturel, les représentations sont envisagées sous la forme de séances, à horaires multiples, pour bénéficier des différentes lumières naturelles qui offrent à chaque fois au public un visage unique de l’œuvre et du lieu. Le format léger permet de créer des parcours pour découvrir et vivre Infinité et ces milles visages. Infinité est une rencontre, sans cesse nouvelle et vivante.

    Mémoire d’une danse, et oubli

    Depuis les années 90, et l’invitation de la compagnie yvann alexandre par le Festival Montpellier Danse au sein de La Colombière, un hôpital qui assure la prise en charge psychiatrique des patients du CHU de Montpellier, Yvann Alexandre et son équipe n’ont eu de cesse d’agir et de créer dans les établissements de santé.

    C’est au contact de patients atteints de maladies neuro- dégénératives, dont la maladie d’Alzheimer, que s’est activé le processus artistique que le chorégraphe nomme « Mémoire d’une danse, et oubli ». Ce processus qui irrigue en profondeur aujourd’hui Infinité s’est construit lors d’ateliers de création avec les patients et personnels autour du souvenir d’une danse, de convoquer le souvenir d’une danse.

    En convoquant le souvenir d’une danse, réel ou imaginaire, avec l’aide du geste, d’une musique, d’une image, d’un parfum, …, il s’opère chez l’individu la possibilité de partager des récits infinis, de retrouver dans le geste une autre vie dans les doigts, dans le ventre, et dans les yeux. C’est le corps entier qui reconvoque le souvenir d’une danse.

    Sans la nécessité ou la possibilité de se souvenir de l’ensemble, sans l’immensité d’hier, sans la concentration à faire ressurgir le passé de manière réelle, il se crée un espace vivant pour accueillir des mondes. Des mondes et des danses qui se déploient dans un dialogue d’aujourd’hui.

    Et si, pour la personne atteinte, le souvenir réel s’est envolé, le fait d’être en création apporte de la non- culpabilité pour embrasser de manière vivante, et à plein corps, le geste qui naît du souvenir imaginaire.