Collaboration avec le Musée d’Ethnographie de Genève
Le MEG conserve un fonds d’archives sonores inédites d’Amazonie qui représente environ vingt-cinq heures d’enregistrements réalisés au Brésil (Mato Grosso, Rondônia, Pará) et en Guyane entre 1968 et 1992 par d’anciens collaborateurs du MEG.
Entièrement numérisées, ces archives sont remarquables à plusieurs titres. Tout d’abord, elles ont été recueillies par des ethnologues spécialistes des milieux amazoniens, au terme de longs séjours de recherche de terrain. Ensuite, elles sont accompagnées d’une abondante documentation scientifique concernant les conditions d’existence de ces patrimoines sonores enregistrés. Enfin, la bonne qualité des prises de son, parfois réalisées dans des conditions difficiles, témoigne avec justesse de l’importance de la perception auditive en Amazonie, d’où résulte une grande diversité d’expressions sonores contrastées.
Le rapport qu’un individu entretient avec l’univers qui l’entoure et la manière d’organiser son expérience du monde sont liés à la perception qu’il s’en fait. En Occident, la vue et le toucher sont les sens dominants. En Amazonie, c’est avant tout par l’ouïe, et donc le son, que la mise en relation entre soi et le reste du monde s’établit. Ainsi, selon la perspective amérindienne, le son (la musique, les bruits, etc.) permet aux hommes, aux esprits et aux animaux de communiquer entre eux.
Par ailleurs, le souffle sonore du chamane, personnage jouant un rôle clé dans les sociétés amazoniennes, est un média par excellence pour établir des relations entre le monde des humains et celui des esprits. La présence du souffle, expression de la force vitale, se manifeste par la voix (chants, cris rituels), mais aussi par les instruments à vent qui le canalisent et en transforment la sonorité. Ainsi dans toute l’Amazonie, les instruments à vent sont de loin la catégorie d’objets sonores la plus largement représentée et la plus diversifiée.
Ces données, étudiées par plusieurs générations de chercheurs, ont été au cœur de l’installation immersive Contes sonores intégrée à l’exposition Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt, conçue et présentée par le MEG en 2016, puis présentée à nouveau au Château des Ducs de Bretagne de Nantes du 15 juin 2019 au 19 janvier 2020.
Ces Contes sonores avaient pour objectif de mettre l’accent sur l’importance de la perception auditive en Amazonie. Il s’agit de seize montages intégrant différentes sources sonores, créés sur la base de récits évoquant les liens qu’on peut établir entre des objets présentés en vitrines pendant l’exposition et une certaine vision du cosmos, des réalités de la vie quotidienne (partie de chasse, de pêche, déforestation, etc.) ou des représentations rituelles collectives (initiation, rituel d’imposition des noms, mythes, etc.).
En mai 2020, à l’occasion de la mise en place à Nantes de l’exposition Amazonie. Le chamane et la pensée
de la forêt, une première rencontre fut organisée entre Madeleine Leclair, commissaire scientifique de l’installation des Contes sonore, et le chorégraphe Yvann Alexandre. Du foisonnement des échanges et des discussions captivantes relatives aux univers de la musique et de la danse est née l’idée de poursuivre l’expérience créatrice, en imaginant que les archives sonores d’Amazonie du MEG pourraient servir d’inspiration à Jérémie Morizeau, compositeur de Se méfier des eaux qui dorment.C’est ainsi que le fonds d’archives d’Amazonie du MEG a été mis à la disposition des créateur-trices de la compagnie Yvann Alexandre. Après une sélection érudite et pertinente de Madeleine Leclair en échos au propos de Se méfier des eaux qui dorment, des heures d’enregistrements ont été confiées au chorégraphe et au compositeur en vue d’une immersion énigmatique, saisissante et profonde.
Pour le MEG, cette initiative fait partie d’un programme initié en 2014 au MEG, dont objectif est d’inviter
des compositeur-trices à explorer les Archives internationales de musique populaire (AIMP) en vue de s’en inspirer pour la création d’une composition originale. Elle s’inscrit également dans la nouvelle orientation stratégique du MEG, dont les principaux enjeux concernent la décolonisation, les processus collaboratifs, la créativité, l’inclusion et la durabilité.Ces projets de création intégrant des enregistrements de divers patrimoines musicaux transmis oralement sont d’autant plus féconds qu’ils permettent d’étudier et d’approfondir un ensemble de questions touchant à l’actualité des musées de société. Ces questions sont d’ordre éthique (points de vue des personnes concernées par les enregistrements ; statut des musiques dites traditionnelles ; etc.) ; juridique (propriété des enregistrements et rôle de l’institution qui les conserve ; statut des musiques «sans auteurs» ; droits dits «voisins» ; etc.) et philosophique (intention des créateur-trices ; appropriation créative ; statut
des performances musicales fixées sur un support d’enregistrement ; etc.). Ces sujets sont discutés dans le cadre d’un projet de recherche qui se déroule au musée, autour des collections, et qui réunit au musée des professionnels du milieu de l’édition discographique, des étudiant-es, des chercheur-euses, des artistes, des musicien-nes et autres personnes ressources concernées par les patrimoines musicaux hérités.C’est dans ce dialogue entre l’œuvre de Tchaïkovski, la création sonore de Jérémie Morizeau et la pensée de la forêt que naît l’œuvre sonore de Se méfier des eaux qui dorment.
Le MEG (Musée d’ethnographie de Genève) est une institution publique fondée en 1901, dont le premier directeur fut Eugène Pittard, anthropologue genevois (1867-1962). Le Musée a pour mission de conserver des objets illustrant la culture des peuples à travers l’histoire du monde. Il abrite une collection de plus de 70’000 objets et sa bibliothèque offre plus de 60’000 documents sur les cultures du monde.
Le Musée possède une collection unique d’enregistrements musicaux, les Archives internationales de musique populaire (AIMP), qui comporte plus de 20’000 heures de musique et dont la collection rassemblée par le musicologue Constantin Brãiloiu entre 1944 et 1958 en constitue la base avec plus de 3000 enregistrements historiques. L’exposition de référence est gratuite et présente plus d’un millier d’objets issus des cinq continents.
Le MEG offre en plus de sa collection permanente et de ses expositions temporaires, un programme de médiation culturelle et scientifique, des concerts, des cycles de cinéma et de conférences ainsi que des spectacles. Depuis octobre 2014, les richesses du MEG sont mises en valeur dans un nouveau bâtiment conçu par le bureau zurichois Graber & Pulver Architekten sur le site qu’il occupe depuis 1941.
Madeleine Leclair